J.O. 102 du 2 mai 2003       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 07642

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 16 avril 2003 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2003-471 DC


NOR : CSCL0306589X




LOI RELATIVE AUX ASSISTANTS D'ÉDUCATION


Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du conseil, conformément au second alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer à votre examen l'ensemble de la loi relative aux assistants d'éducation, et en particulier son article 2, aux motifs des griefs suivants.


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I. - Sur la méconnaissance de l'alinéa 13 du Préambule

de la Constitution de 1946 et ensemble du principe d'égalité


I-1. L'article 2 de la loi critiquée méconnaît le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel : « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat ».

Vous avez eu l'occasion de juger, encore récemment, qu'aucun arbitraire ne pouvait être toléré en la matière et que, s'agissant il est vrai de l'accès des élèves à un établissement scolaire et non du recrutement des personnels de celui-ci, les modalités de recrutement diversifié devaient reposer sur des objectifs rationnels pour éviter toute rupture d'égalité à cet égard (décision no 2001-450 DC du 11 juillet 2001, considérant 31 et suivants).

C'est en application de ce même alinéa du Préambule de 1946 et du principe d'égalité que vous avez considéré que le législateur doit prévoir les garanties nécessaires pour prémunir les établissements d'enseignement public contre les ruptures d'égalité à leur détriment au regard des obligations particulières qu'ils assument (décision no 93-329 DC du 13 janvier 1994).

Il n'est pas douteux que ces principes valent pareillement entre les différents établissements publics d'enseignement et qu'il ne pourrait être constitutionnellement admis qu'un tel établissement bénéficie de moyens plus importants qu'un autre, en raison par exemple de l'aide qu'une collectivité territoriale lui accorderait de manière privilégiée. A l'inverse, il ne serait pas davantage admissible qu'un établissement public dispose de peu de moyens en raison de choix que la collectivité territoriale sur le territoire de laquelle il est situé ferait, par exemple et d'une façon ou d'une autre, en faveur d'un établissement d'enseignement privé voisin.

I-2. En l'occurrence, l'article 2 de la loi déférée n'apporte, à cet égard, aucune des garanties constitutionnellement indispensables.

Nul ne conteste, bien au contraire, que les assistants d'éducation participent, au terme de la loi critiquée comme de l'ancien statut porté par la loi du 3 avril 1937 et les décrets des 11 mai 1937 et 27 octobre 1938, à la fonction éducative des établissements publics d'enseignement. Selon l'article 2 du texte, tel qu'enrichi par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, ces contractuels de droit public sont recrutés pour exercer des fonctions d'assistance à l'équipe éducative, fonctions en lien avec le projet d'établissement, notamment pour l'encadrement et la surveillance des élèves et l'aide à l'accueil et à l'intégration scolaire des élèves handicapés, y compris en dehors du temps scolaire.

De même, l'article 2 prévoit que les assistants d'éducation peuvent être mis à la disposition des collectivités territoriales pour participer aux activités complémentaires de caractère éducatif, sportif et culturel ou aux activités organisées en dehors du temps scolaire dans les établissements.



Comme le relève le rapport du Sénat, « plus impliqués dans leur mission, ils (les assistants d'éducation) apporteront une réelle plus-value tant pour les enfants que pour les enseignants » (Sénat, Rapport, M. P. Richert, no 232, p. 39 et 40). Cette vision, à la supposer effectivement servie par la loi en cause, souligne, quoi qu'il en soit, le rôle de ces personnels pour aider à une bonne réalisation des missions du service public de l'éducation nationale.

Dans ces conditions, il est certain que le recrutement des assistants d'éducation répond à un devoir de l'Etat au titre duquel l'égalité doit être maintenue entre l'ensemble des établissements publics d'enseignement et ne pas dépendre des participations variables que les collectivités locales pourront allouer selon les années et les politiques localement définies.

Au cas présent, les garanties constitutionnelles ne sont pas assurées, loin s'en faut.

I-3. Désormais, c'est en fonction de la décision de chaque chef d'établissement que la décision de recrutement sera prise. C'est donc, et alors même que chacun se plaît à rendre hommage au sens du service public de ces fonctionnaires, une déconcentration des compétences qui, dans ces circonstances, introduira des ruptures d'égalité entre les établissements d'enseignement. Les critères de recrutement établis par chacun des chefs d'établissement, les moyens matériels dont chacun bénéficiera réellement, les relations entretenues avec les élus de la collectivité territoriale sur le territoire de laquelle l'établissement est situé, la politique éducative suivie par cette collectivité et, le cas échéant, l'existence d'une volonté d'aider l'enseignement privé influenceront, entre autres paramètres, l'exercice de ces recrutements locaux.

Le risque existe donc que le principe d'égalité entre les établissements soit rompu. Ainsi, et alors même que le Gouvernement s'en défendra, selon que les établissements auront ou non les moyens, la réalité du recrutement de ces assistants sera variable. Ce sont donc non plus les besoins du service public de l'enseignement et donc des élèves qui seront au coeur de ces recrutements, mais les ressources dont chaque établissement disposera.

L'argument tiré de la proximité, qui faciliterait prétendument une meilleure appréciation des besoins de chaque établissement, ne résiste pas à l'analyse. Dès lors que les assistants d'éducation contribuent au service public de l'enseignement, il appartient à l'Etat d'assurer la satisfaction des besoins de chaque établissement, et donc des élèves, en rapport avec le principe d'égalité. Cette conciliation aurait été certainement satisfaite si le rectorat avait conservé la compétence de recrutement après avis obligatoire du chef d'établissement.

Il est éclairant de constater que cette préoccupation conforme aux prescriptions du treizième alinéa du Préambule de 1946 et du principe d'égalité a été soulignée par le rapport du Sénat : « Votre commission tient toutefois à souligner la possibilité d'inscrire cette procédure de recrutement direct dans un système de régulation académique, sur le modèle des commissions de recrutement mises en place au niveau des rectorats dans le cadre des aides-éducateurs. Cette mesure d'accompagnement et de cadrage permettrait d'assurer une mutualisation des candidatures et de garantir une répartition optimale des postes, ainsi que des dotations en effectifs équitables entre les établissements » (Rapport, précité, page 35, § 4).

Conscient des difficultés à venir, le même rapport confirme la crainte de pressions dont les chefs d'établissement risqueront d'être l'objet (précité, page 35, § 5).

On le voit, jusque dans le rapport de la commission du Sénat, il apparaît qu'aucune garantie n'est apportée pour s'assurer que l'ensemble des établissements, donc des élèves, auront le même niveau d'encadrement au titre des assistants d'éducation.

I-4. Le rôle que les collectivités territoriales joueront à cet égard doit être aussi considéré, y compris sous l'éclairage des précisions apportées dans les débats. La question est ici d'assurer le respect du principe d'égalité sur l'ensemble du territoire d'un service public fondamental, celui de l'éducation nationale, et non pas de critiquer la décentralisation à laquelle les auteurs de la saisine sont particulièrement attachés et à laquelle ils ont fortement contribué.

Il s'avère, en effet, que le dispositif modifiant l'article L. 916-2 du code de l'éducation autorise les collectivités territoriales qui le souhaiteraient à prendre entièrement en charge le financement des personnels supplémentaires, recrutés par les établissements scolaires et mis à leur disposition, sans devoir en assumer la gestion (Rapport, précité, page 47).

Le risque est d'autant moins illusoire que, s'agissant de la part la plus sensible de l'activité de ces agents publics contractuels, à savoir la mission consacrée aux élèves handicapés, l'Assemblée nationale a amendé ce texte pour confier leur recrutement à l'Etat, soit donc le maintien de l'économie du système actuellement en vigueur.

Force est d'admettre que le recrutement des assistants d'éducation, tant en quantité qu'en qualité, peut devenir dépendant, au moins financièrement, des décisions des collectivités territoriales. Le risque d'une rupture d'égalité entre les établissements et donc entre les élèves devient flagrant et l'imprécision de la loi querellée ne peut que conduire à son invalidation.

La circonstance que les collectivités territoriales ne disposent pas des mêmes ressources double la difficulté. Un recrutement à deux vitesses des assistants d'éducation pointe à l'horizon. Le minimum d'encadrement sera en place dans les établissements des collectivités les moins riches, quand les établissements situés dans le champ de certaines collectivités plus opulentes disposeront d'assistants en nombre et permettant aux élèves d'accéder à des activités variées et multiples. L'égalité souffrira une autre atteinte.

On le voit, certains chefs d'établissement seront soumis à des contraintes tenant aux circonstances locales et devront malgré eux opérer des choix dépendants de cet environnement. S'agissant d'une fonction intimement liée au projet pédagogique d'établissement, et non pas seulement à des questions d'ordre matériel ou technique, la menace d'une rupture d'égalité entre les établissements d'enseignement public et entre ceux-là et les établissements d'enseignement privés n'est pas acceptable.

De ces chefs, la censure est inévitable.


II. - Sur la méconnaissance de l'article 6 de la Déclaration

des droits de l'homme et du citoyen de 1789


L'article 2 de la loi méconnaît l'article 6 de la Déclaration de 1789 selon lequel tous les citoyens sont également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que leurs vertus et leurs talents.

Vous avez fait une application constante de ce principe et récemment en ce qui concerne le recrutement des juges de proximité (décision no 2003-466 DC du 20 février 2003). Concernant le recrutement de personnels dont la mission est intimement liée au projet pédagogique d'établissement, il est certain que les critères de recrutement doivent être en adéquation avec la finalité de leur mission, et leurs capacité et talent mesurés objectivement.

On doit ajouter que le recrutement de ces assistants doit d'autant plus satisfaire l'article 6 de la Déclaration de 1789 qu'existe un lien avec le treizième alinéa du Préambule de 1946. Nul n'ignore que cette fonction particulière a été conçue pour favoriser l'égal accès à l'instruction des jeunes gens parmi les plus méritants issus des milieux les plus modestes, en leur permettant de poursuivre leurs études supérieures. Aujourd'hui, ce souci est aussi celui d'une intégration réussie et d'une mixité sociale indispensable pour retisser le lien social. Les vertus, talents et capacités exigés ont ici une dimension doublement républicaine.

A la lumière des règles constitutionnelles s'imposant pour le recrutement de tout agent public et des objectifs de la loi, l'objectivité et la rationalité dans le recrutement de ces assistants d'éducation doivent être pleinement assurées.

En l'espèce, elles ne le sont pas.

Certes, comme introduit par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, le dispositif en cause est « destiné à bénéficier en priorité à des étudiants boursiers ».

Il demeure que cette précision, pour indispensable qu'elle soit, est insuffisante, notamment au regard des objectifs de la loi. Car, au-delà de cette catégorie, rien ne garantit que ces personnels seront prioritairement choisis parmi les étudiants méritants et dont les ressources des familles ne sont pas suffisantes pour les aider à poursuivre des études supérieures, plus ou moins longues.

Cette fonction d'ascenseur social que remplissait le statut des MI-SE, directement inspirée des valeurs de la République, n'apparaît donc pas satisfaite. Pourtant, le rapporteur du texte au Sénat a pris soin de rappeler combien il est essentiel de préserver cette fonction d'aide sociale aux étudiants et d'apprécier les moyens de l'actualiser et de la renforcer (Rapport, précité, page 16).

Interrogé au Sénat à l'occasion de l'examen de l'amendement no 170 sur les critères de recrutement de ces assistants, monsieur le ministre de l'éducation nationale a convenu qu'il importe effectivement de préciser les critères de recrutement et qu'ils le seront ultérieurement par voie de circulaire (Sénat, séance du 10 avril 2003). En renvoyant à une simple circulaire, laquelle ne saurait être a priori regardée comme un texte réglementaire, le ministre confirme la critique ainsi faite.

De ces chefs également, l'invalidation est encourue.


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Nous vous prions de croire, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du conseil, à l'expression de notre haute considération.

(Liste des signataires visée dans la décision no 2003-471 DC.)